De mon bureau, je regarde la neige qui tombe. Je suis heureux.
Longtemps, je me suis demandé pourquoi la neige était pour moi le seul vrai synonyme de bonheur, pourquoi quand le ciel est gris, de ce gris plombé qui seul annonce les flocons, je sens mon cœur battre plus vite, comme à l’annonce d’une bonne nouvelle. Pourquoi les flocons qui s’éparpillent dans le ciel me racontent des après-midi au milieu d’une classe douce où le bois crépite dans le poêle, des bonhommes de neige au visage familier, des boulets de paix qui ne seraient remplacés, au printemps, que par d’inoffensives balles de primevères. Et le choc obstiné des bottines qui s’ébrouent sur le seuil, annonçant mieux que des clochettes des visites amies. Pourquoi, oui pourquoi cette joie qui m’envahit et me submerge comme une vague de tendresse ?
Et j’ai retrouvé. Décembre 1944. Alors que pas si loin, à Bastogne, le sang tache la neige, chez moi, à Vieux-Virton, je vis avec des parents qui m’aiment et toute une famille qui me comble d’affection. Mon père et ma mère sont encore de grands enfants. Ils partagent mes jeux dans la neige. Mon père m’a confectionné un traîneau un peu trop haut mais qui ne bascule que pour nous faire éclater de rire. Ma grand-mère aussi est restée jeune. Elle sort en robe dans la neige, insensible au froid, et pendant cinq minutes partage mes jeux avant de se réfugier dans sa cuisine où, j’en suis sûr, elle me préparera la plus délicieuse des friandises de guerre. Comme on m’aime !
Jamais plus je ne serai heureux comme en ces jours de fin décembre 44. Mais la neige reviendra parfois me dire qu’il faut croire au bonheur.